Article rédigé par dirigeant.fr, le journal en ligne des entrepreneurs édité par notre partenaire le CJD.
Qui êtes-vous, Stéphanie Goujon ?
Je suis une entrepreneure, depuis longtemps engagée en faveur du développement durable. J’ai besoin de faire, de me sentir utile. Après des études à HEC, j’ai d’abord rejoint une agence de communication dans laquelle j’ai travaillé sur de grands comptes. Puis je me suis reconvertie dans l’entrepreneuriat social, où j’ai participé au lancement de l’Agence du Don en Nature, qui fait l’équivalent de la banque alimentaire dans le non alimentaire. Mix entre Steve Jobs et Mère Thérèsa, l’entrepreneuriat social conjugue outils du privé et mission d’intérêt général. Estimant qu’après un certain temps (10 ans !) les organisations et les dirigeants ont besoin de renouveau, j’ai quitté l’Agence du Don en Nature pour une nouvelle aventure, celle du French Impact. Il s’agit d’une initiative gouvernementale lancée en 2018 par le Haut-commissariat à l’ESS et l’innovation sociale, structurée aujourd’hui en association, qui fédère l’écosystème de l’innovation sociale et environnementale en France. Notre rôle consiste à mettre en œuvre sur le terrain la vision du French Impact, en structurant des programmes concrets : « Une vision sans exécution n’est qu’une hallucination » disait Edison. J’ai également un mandat au Conseil Economique Social et Environnemental, et siège à ce titre au Conseil d’Administration des Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Du privé à l’économie sociale et solidaire, quelles sont les raisons de cette transition qui peut surprendre ?
La bascule a été la naissance de ma fille en 2007. J’ai développé une sensibilité accrue aux questions environnementales. Et je suis très cartésienne. Face au constat de départ de l’Agence du Don en Nature, j’ai éprouvé le besoin d’apporter des solutions. Comment une société peut-elle être à la fois traversée d’un côté par une logique économique qui consiste à se débarrasser d’une quantité colossale de produits neufs parce qu’ils sont passés de mode et de l’autre par une augmentation de personnes dans le besoin ? C’était absurde et un gâchis environnemental. J’ai souhaité apporter une solution en créant une plateforme logistique collectant et redistribuant ces invendus aux plus démunis. Moins de gaspillage, plus de partage. J’ai pris conscience que nous pouvions entreprendre autrement en répondant aux enjeux sociaux et environnementaux qui s’imposent à nous.
Le French Impact a pour objectif de valoriser l’innovation sociale et environnementale (ISE). En quoi cette innovation consiste-t-elle au juste ?
Elle consiste en premier lieu à fédérer tous les acteurs qui veulent résoudre un problème peu ou pas résolu par le marché et les pouvoirs publics. Par exemple ce que le groupe associatif Siel Bleu a été imaginé en réponse à un constat : celui des accidents de travail dans le BTP. En donnant des échauffements le matin avant la prise de poste, le nombre d’accidents du travail a significativement baissé. Cette initiative peut être transposée chez les séniors et leur permettre de vivre en bonne santé plus longtemps et de manière autonome, en limitant le risque de chute. Cela représente une économie de l’ordre de 400/500 millions d’euros pour la Sécurité Sociale. Mais l’innovation sociale et environnementale ne se cantonne pas à l’économie sociale et solidaire (ESS) même si l’ESS en est un fervent pourvoyeur. L’ESS, ce sont des valeurs bien définies, des statuts particuliers (mutualisme, coopératisme, ESUS…) adossés à des critères précis (non-lucrativité, principes de gouvernance…). L’innovation sociale et environnementale peut être l’affaire d’un spectre plus large d’organisations. Ainsi Artupox, une entreprise de nettoyage, a été parmi les pionniers à faire travailler ses salariés en horaires de jours, leur permettant de ne pas subir des horaires décalés qui désorganisent la vie familiale, et à utiliser des produits biologiques.
Quelles sont les missions du French Impact ?
Partout, des solutions existent, sur nos territoires, face aux urgences écologiques et sociales. Nous travaillons à les faire grandir en provoquant un changement de postures chez nos interlocuteurs, en prônant la coopération entre public et privé. Notre rôle au French Impact consiste in fine à inspirer les politiques publiques, à proposer de nouvelles manières d’agir aux administrations, notamment la haute fonction publique. Nous travaillons pour qu’elle dépasse leur défiance, il y a là un besoin d’acculturation, pour qu’elle s’inspire des innovateurs sociaux. Nous avons ainsi noué un partenariat avec la Mission Cadres Dirigeants du Secrétariat Général du Gouvernement où 50 hauts fonctionnaires se sont engagés comme marraines ou parrains auprès de 22 structures robustes de l’ESS labellisées par French Impact. Cela leur permet de savoir concrètement ce qu’entreprendre signifie ; cela leur permet également d’identifier les freins qui limitent les initiatives. Nous avons le cas d’ENVIE Autonomie, un réseau qui rénove des aides techniques pour personnes handicapées (fauteuils roulants…), grâce à un atelier d’insertion dont le travail permet de remettre en usage du matériel, donc de faire baisser les coûts pour l’acheteur. C’est une initiative en tout point remarquable… Sauf que la Sécurité Sociale ne remboursait pas un matériel ayant déjà servi. C’est maintenant le cas, grâce notamment à French Impact car nous nous sommes appuyés sur nos réseaux pour faire sauter ces freins réglementaires.
Nous sommes des facilitateurs pour les porteurs de projets dans les territoires et avons également vocation à inspirer les politiques publiques.
Stéphanie Goujon
Aujourd’hui, administrations comme entreprises montrent une volonté de s’engager pour aller vers un modèle plus inclusif et respectueux de l’environnement. Nous nous appuyons sur cet éveil des consciences. Notre rôle consiste à essaimer les initiatives, à accompagner et fédérer les acteurs, à capitaliser les bonnes pratiques, à être un appui pour l’accès aux dispositifs publics et privés de financement (400 millions d’euros sont par exemple mobilisables sur les projets grâce à des fonds d’investissements sous bannière French Impact). Nous sommes des facilitateurs pour les porteurs de projets dans les territoires et avons également vocation à inspirer les politiques publiques. Quand quelque chose fonctionne, sous quelle(s) condition(s) cela peut-il être généralisable ?
Qu’est-ce qui fait le succès d’une innovation sociale ?
Le social c’est d’abord local. L’économie sociale et solidaire, c’est d’abord une économie de proximité. C’est parce qu’elle est au plus près des besoins qu’elle est adaptée. Il y a ainsi des trésors de solutions partout dans les territoires, que ce soient dans des domaines aussi divers que le recyclage des déchets, le décrochage scolaire, la réindustrialisation, la solidarité intergénérationnelle… et nous devons les faire grandir quand c’est pertinent. Nous avons besoin aujourd’hui de mobiliser les entreprises «classiques » , marchandes, pour bénéficier de leur pouvoir amplificateur sur le plan financier et des compétences. Les achats responsables, inclusifs et innovants constituent à cet égard un levier stratégique pour transformer notre modèle. Les solutions issues de l’innovation sociale et environnementale peuvent répondre aux besoins des acheteurs. Nous souhaitons accélérer les flux d’affaires et relationnels avec les entreprises classiques, par des alliances allant du mécénat jusqu’à la création de « joint ventures » sociales, c’est-à-dire une coopération entre une entreprise et une innovation sociale, matérialisée dans une structure juridique.